Côtoyer le “Roi du Zaïre”, une petite anecdote

Nous finissions de déjeuner mon père et moi, assis en terrasse à la grande table ronde de malachite que nous avons depuis ce qui semble être des millénaires. En sirotant un café insipide mais bienvenu dans la chaleur de l’après-midi pour contrer l’envie irrésistible de dormir qu’elle me procure souvent, je m’interroge sur cet irrépressible sentiment qu’ont parfois les Congolais de regretter les temps passés. Du Ntango ya Flamands (au temps des Belges, sous-entendu, on ne rigolait pas) à la toque de Léopard du Maréchal-Président Mobutu, il plane une amertume sensible envers la situation actuelle, ressentie on dirait, de manière plus cruelle, plus dure, plus incisive.

Si peu de Congolais se souviennent réellement des aventures coloniales belges, beaucoup se remémorent avec une nostalgie déconcertante les années du mobutisme. J’explique à mon père que je cherche différentes explications à cette nostalgie. Je me dis que ce n’est pas tant que les Congolais étaient plus riches au temps de la colonisation belge ou de Mobutu, mais peut-être que les regrets de certains émergent de ce sentiment rassurant d’être encadré, reconnu en tant que sujet actif d’une communauté sociale et économique. Avec ses ambitions de zaïrianisation, Mobutu aura détruit les infrastructures économiques et sociales de son pays au profit d’une propagande d’Etat pour son parti unique élaborée et efficace. Il a créé une conscience nationale, la fierté d’être Zaïrois. Moi qui ne me souviens que de quelques souvenirs hachés et incertains d’une enfance que j’ai idéalisée, je demande à mon père, « tu l’as connu toi, Mobutu ? »

Oui, bien sûr je l’ai connu, je l’ai vu à plusieurs reprises. « Mais tu travaillais pour lui ? » Oui, j’ai eu quelques chantiers pour lui. Je me souviens encore, j’étais invité dans son palais de Gbadolite, son fief, l’endroit qu’il réservait pour ses affaires personnelles. « Il n’aimait pas Kinshasa ? » Non, pas tellement, je crois qu’il n’a jamais eu de palais ici. Kinshasa n’est pas réellement l’endroit qui favorise l’établissement des chefs d’Etat, il y a beaucoup de dissidence. Non, Gbadolite, c’était chez lui, tout lui appartenait là bas, il y avait les maisons des gens importants du gouvernement, les sièges de la BCZ (Banque du Zaïre), ceux de la SNEL et de la Régideso, dont un que j’avais fait construire. Il avait aussi installé un aéroport planté au milieu de la forêt – c’était assez marrant d’ailleurs – et nous avions été là pour accueillir un avion Concorde privatisé qui devait atterrir. Madame (le femme de Mobutu) était partie faire ses courses à Paris, et était de retour, donc Mobutu était là, accompagné de tout un tas de dignitaires, de types plus ou moins importants – il était toujours entouré de beaucoup de monde, il aimait ça – et moi aussi j’étais là en voyage d’affaire pour deux jours; on devait discuter d’un de ses projets. Puis Madame est sortie, elle aussi entourée de tout un tas de femmes qui l’avaient accompagnée, puis le personnel Air France, et ensuite, bien sûr tous les paquets de Madame suivaient…

« Tu as fait quoi comme projets là bas ? » Surtout des petits palais, ses résidences secondaires. Un tout près de Gbadolite, celui de Lisala, l’autre à Bandundu et le troisième … Je ne m’en souviens plus tiens! Tout ça dans le Haut-Zaïre. Je ne sais pas ce qu’il en reste aujourd’hui. Donc bien sûr il a fallut qu’on se voie plusieurs fois. Je dois dire que Mobutu était un type gentil, intelligent, il savait lire des plans, ce qui est rare ! Par exemple Bongo lui, ne savait rien … « Omar Bongo ? » Oui, Omar, bon … lui il voulait un palais à étage avec grandes terrasses, et quand je lui présentais les plans, il ne comprenait rien. Lorsqu’il me demandait la superficie de sa chambre à coucher et que je la lui donnais, il ne pouvait pas se représenter les chiffres, donc il a fallu qu’il m’ emmène dans sa chambre pour comparer. Je me souviens d’ailleurs que l’élément principal qui trônait au milieu de la pièce était une immense télévision (il rit), avec des tas de cassettes. Mais Mobutu lui, savait lire des plans, on s’asseyait à sa table avec deux ou trois autres types, et il me disait ce qui allait et ce qui n’allait pas. Je n’ai jamais eu de retard de payement, ni le moindre problème.

Palais de Kawele, à 15 km de Gbadolite. Photo Credit: Grwenn Dubourthoumieu.

Une des nombreuses résidences de Mobutu. Palais de Kawele, à 15 km de Gbadolite. Photo Credit: Gwenn Dubourthoumieu.

« Mais et cette histoire de Concorde, ça s’est terminé comment ? » Eh bien nous avons dîné tous ensemble, de grandes tablées, c’était très sympa, très convivial. Puis il me dit et toi, mon ami l’architecte italien, est ce que tu dois rentrer à Paris demain ? Il voulait me faire voyager dans le Concorde qui retournait à Paris. Alors, moi, qui n’avait qu’un tout petit sac, avec une chemise et un caleçon dedans, j’ai dit non. Je regrette un peu ceci dit, j’aurais pu prendre le Concorde une fois dans ma vie, et tout seul dans l’avion!

… (Il se perd dans ses souvenirs) Mobutu m’appelait toujours son ami l’architecte italien : Ah ! Mon ami l’architecte italien, qu’est ce que vous buvez ?  Euuhh champagne … Allez, apportez-moi du champagne pour mon ami l’architecte italien. Lui je me souviens, il préférait boire du Porto à l’apéritif.

Je souris à l’idée que mon père marque en 2015 sa 44ème année dans ce pays, quand moi, je me fatigue déjà au bout de quelques semaines d’interviews….

Guest Post | Elections en RDC : Quelles chances de réussite ?

Par Isaac MUMBERE WIKEREVOLO

Juriste et consultant en Droits Humains et Ressources Naturelles

Acteur de la société civile du Nord-Kivu/Goma

 

En dépit des derniers remous relatés dans les médias, et les nombreuses difficultés rencontrées, la République Démocratique du Congo reste engagée à ce jour dans un processus électoral pour les années 2015 et 2016. Depuis la publication du calendrier électoral en février 2015, les partis politiques tant de l’opposition que de la majorité ont activé leurs quartiers généraux afin de se préparer à ces prochaines échéances.

Au niveau provincial les candidatures ont déjà été présentées à différents bureaux de la Commission Electorale Nationale Indépendante la CENI – répartis sur toute l’étendue du territoire congolais. Ces élections ainsi que les élections locales, législatives et présidentielle prévues en 2016 restent cependant hypothétiques vus les enjeux actuels.

Il faut dire que la question qui semble préoccuper les acteurs politiques tant de la majorité que de l’opposition dite Républicaine ou Nationaliste selon les cas, reste un nouveau dialogue entre congolais durant lequel la classe politique veut se mettre autour d’une table pour débattre de la problématique du financement des élections et du recensement d’une partie de la population congolaise récemment devenue majeure et donc en droit de voter. En effet, le dernier enrôlement des électeurs date de l’année 2011 et depuis lors les personnes ayant acquis la majorité électorale (18 ans) n’ont jamais été enregistrées afin d’actualiser le fichier électoral, ce qui pourra jouer sur le taux de participation.

Il faut également souligner que le calendrier électoral ayant été trop ambitieux dans l’organisation consécutive d’élections à tous les échelons de la vie politique congolaise (i.e. locales, urbaines, municipales, provinciales, législatives et présidentielles), de gros problèmes budgétaires ont contribué à leurs débuts chaotiques.

De plus, l’insécurité qui s’observe sur une partie de la province du Nord-Kivu demeure aussi un des défis majeurs pour la tenue d’élections apaisées. S’ajoutent à cela, le développement incertain de la situation dans certains pays de la région des grands lacs dont le Rwanda et le Burundi, ce qui ne rassure pas pour l’effectivité de ces échéances électorales. En effet, le Burundi qui connait actuellement de graves turbulences suite à l’annonce de la candidature du président sortant Pierre KURUNZIZA, qui tente ainsi de briguer un 3ème mandat que la constitution burundaise ne lui autorise pas, risque d’être pris comme modèle en République Démocratique du Congo et de provoquer une crise généralisée dans la région des grands lacs.

Quant au Rwanda, le gouvernement n’a pas encore dit son dernier mot puisqu’une une pétition fur organisée dans le but de demander à Paul KAGAME de pouvoir se représenter une nouvelle fois malgré la fin de son mandat constitutionnel en 2017.

Persistance de l’insécurité

Il faut rappeler les opérations conjointes entre la MONUSCO et les FARDC menées contre les rebelles du M23 en 2013 ont été couronnées d’une victoire militaire et ont ainsi marqué une volonté globale renouvelée de pacifier la RDC en mettant fin à l’activisme de tous les groupes armés.Toute fois, à ce jour, ces opérations présentent des limites pour en finir avec les autres groupes armés locaux  puisque l’on continue à enregistrer des tueries, massacres, enlèvements et kidnapping parmi la population civile en territoires et villes de la province en dépit de la présence des troupes onusiennes et des FARDC[1].

Illustrons ceci par les événements qui secouent le territoire de Walikale et la partie nord de la province du Nord-Kivu. Il a été signalé en effet, depuis mars 2015 des conflits armés qui opposent deux factions du mouvement rebelle de NDC (Nduma Defense of Congo) dans les groupements Ihana, Utunda et Luberike, tandis qu’un autre conflit est visible au sein du Mouvement rebelle Raia Mutomboki dans le groupement de Walowa Uroba en territoire de Walikale. Ces opérations présentent plusieurs conséquences d’ordre humanitaire dont le déplacement massif des populations civiles. La situation en Territoire de Beni reste alarmante depuis 2014 compte-tenu des massacres et tueries perpétrées contre les populations locales, mises à la charge des rebelles ougandais des ADF-NALU (1). On enregistre à ce jour plus de 400 personnes tuées à la machette et à la hache ayant pour conséquence un grand nombre de déplacements, des maladies…

Depuis octobre 2014, plus ou moins 12.050 ménages (soit environ 72.300 âmes) sont déplacés au sein des familles d’accueil dans les localités plus ou moins sécurisées (MAVIVI, MBAU, OICHA, ERINGETI) se trouvant le long de la route nationale numéro 4 sur l’axe Beni-Eringeti, au Nord-Kivu [2].

L’incapacité des FARDC à mettre fin à cette insécurité laisse penser que les élections risquent de ne s’organiser que dans certains coins du pays et pas dans d’autres, ou qu’elles ne se feront pas du tout faute d’une pacification effective dans de larges pans de territoire.

Doutes sur l’alternance en 2016 

Après avoir échoué de réviser la constitution et la modification de la loi électorale, la classe politique actuelle serait du moins les premiers bénéficiaires de la situation.Les groupes armés encore actifs en RDC en général et plus particulièrement à l’est continuent à l’être sans qu’une opération militaire de grande envergure soit lancée afin de les neutraliser une bonne fois pour toutes. Le nouveau dialogue projeté par le gouvernement de la RDC après les concertations tenues en 2013, risquerait de prolonger le processus électoral et un glissement du mandat du président actuel en RDC selon un courant politique de l’opposition radicale que composent les partis politiques comme l’UNC de Vital KAMERHE, le MLC de Jean Pierre BEMBA et l’UDPS d’Etienne TCHISEKEDI.

Les populations locales en quête de voir une alternance en 2016, ne sait pas à quelle saint se vouer et voit de jour en jour ses libertés fondamentales (de pensée, de manifester…) être confisquées par la majorité au pouvoir au delà des autres violations des droits humains (droits civils et politiques). Les acteurs de la société civile se battent pour le respect de ces droits en libérant les activistes jetés en prison (cas de Fred BAUMA, membre de la lucha et Yves MAKWAMBALA de Filimbi) mais aussi pour veiller respect de la constitution.

Bref, la situation actuelle ne rassure pas pour des élections libres et apaisées et les lendemains restent sombres.

La situation dans la région des grands lacs et ses conséquences pour la RDC

Comme cela est connu déjà, depuis un temps le Burundi traverse une situation de turbulences suite à la candidature de M. Pierre KURUNZIZA aux prochaines élections et ceci en violation de la constitution burundaise.Cette situation risque d’affecter les autres pays de la région des grands lacs dont la RDC , en particulier parce que jusqu’à présent, l’Union Africaine ne s’est pas prononcée sur le sujet et a donc laissé faire la propagation de nombreuses tueries .

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la majorité au pouvoir en RDC risque de prendre la situation au Burundi comme modèle et envisager aussi un 3ème mandat en dépit du fait que la constitution congolaise ne l’autorise pas. Un referendum pour la révision de la constitution n’est pas exclu pour imposer au peuple de se prononcer face à cette question comme c’est le cas au Rwanda avec la fameuse pétition qui a été initiée par le régime en place pour un autre mandat en faveur de Paul KAGAME.

Malheureusement, étant donné le contexte incertain et le manque de volonté politique des dirigeants de la région des grands lacs pour assurer l’intérim et la tenue d’élections libres, la simple publication du calendrier en soit ne garantit pas la tenue des élections prévues en RDC ; il faudra suivre la chronologie des événements pour confirmer ou non son effectivité.

Nous restons un peu sceptique en effet, vu les différents agendas politiques qui sont à ce jour présentés dont la question de la sécurité, le budget et l’enregistrement des plus de 18 ans sur les listes électorales. Le dialogue envisagé avant la tenue des élections qui devra se clôturer avec des recommandations incluant des solutions politiques serait une autre barrière pour la tenue des élections surtout que certains acteurs politiques et pas les moindres continuent à le boycotter.

Les premières concertations pour préparer la tenue de ce dialogue qui ont été tenues par le Président JOSEPH KABILA et les gouverneurs de province ont été boycottées par les acteurs politiques de l’opposition radicale et cette attitude mérite d’être prise au sérieux afin de s’interroger sur la suite du processus.

Rien n’est gagné et rien n’est perdu, il faut que les populations locales prennent conscience de ces enjeux et que la communauté internationale accompagne le processus sans hésitation pour aider la République Démocratique du Congo à ne pas tomber dans une nouvelle crise qui risquerait de produire une guerre civile.

Vu les enjeux de l’heure, les acteurs médiatiques devront être formés d’avantage pour mieux couvrir ce processus, les acteurs de la société civile devront bien préparer les populations locales et une police congolaise devra être bien formée afin d’encadrer processus électoral complexe.

Goma, le 1er juillet 2015

[1] Forces Armées de la République Démocratique du Congo

[2] http://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/rdc-caritas-butembo-beni-plaide-pour-plus-de-72300-personnes-d-plac

Sous le discours de la “majorité silencieuse”: Le racisme en France et au sein de ma propre famille – Une réponse à ma mère

Chère maman,

J’avais pris l’habitude jusqu’ici d’ignorer la multitude d’emails insultants à propos des minorités musulmanes et autres catégories non laïcs et caucasiennes que tes copines et toi s’échangent régulièrement et prennent toujours le temps, pour des raisons assez obscures, de me les envoyer aussi. Alors aujourd’hui je vais prendre le temps de répondre à ce “texte” envoyé hier soir concernant les méfaits de la majorité pacifique silencieuse, qui semble-t-il cette fois, s’applique à tous ces millions de musulmans du monde qui se taisent face à la barbarie de ces Boko Haram et autres groupes Etat Islamique-esques qui sévissent en ce moment, de manière très limitée en Europe, grand bien nous fasse, et beaucoup plus férocement au Moyen-Orient, grand bien nous fasse aussi, puisque ça fera moins de musulmans sur cette planète.

Soyons tout d’abord bien clairs sur un point, peu documenté dans les médias occidentaux – on s’attelle là plutôt, en effet, à fustiger le silence coupable des masses de musulmans pacifiques sans la moindre preuve – : les musulmans de la majorité pacifique ne sont pas silencieux. Ils le sont d’ailleurs, beaucoup moins que nous, Européens, aux vues de notre triste histoire relayée par ce bon et brave Pasteur Nielmöller qui se retrouve bien malencontreusement associé à cette diatribe islamophobe qu’est ton email. Ils manifestent dans les rues par milliers en dépit de violences policières et militaires que peu d’Européens supporteraient, ils brandissent des pancartes qui expriment leur peine et désarroi face au fanatisme de certains personnages isolés comme ces Coulibaly Parisiens et Tsarnaiev Bostoniens. Ces gens se battent au quotidien dans des pays contrôlés par de riches Emiratis inutiles et nocifs soutenus par les Etats-Unis, des psychopathes sanguinaires comme Assad ou des militaires prénommés Sisi – qui s’est emparé du pouvoir dans un coup d’Etat par lequel il a expulsé, puis condamné à mort un Président élu à la majorité démocratique, et à propos duquel les occidentaux n’ont pas levé le petit doigt, nous qui sommes si démocrates et civilisés, toujours prêts à défendre les droits fondamentaux et la liberté des peuples…En d’autres termes, des gens bien mieux que cette horde muette de musulmans, nos ennemis, donc.

Les musulmans ne se taisent pas, ils vivent dans des conditions que même un cochon d’élevage européen n’accepterait pas, ils sont battus, torturés, rejetés de tous côtés, manipulés, expulsés de leurs maisons, leurs bien sont spoliés, leurs enfants sont sans futur, leurs femmes violées, ils se font massacrer dans leurs propres pays, tandis que chez nous, ils se font montrer du doigt, rejeter, parquer dans des banlieues dégueulasses, dans lesquels les écoles sont abandonnées, les services publics sont en retrait, l’Etat déresponsabilisé, les transports en commun sous-développés, la police absente ou violente et l’économie informelle rampante, leurs mosquées vandalisées et il n’y a personne, absolument personne, pour les défendre. Ni la gauche bien pensante, ni la bourgeoisie éduquée, ni les couches sociales défavorisées criblées de dettes, écrasées par des impôts et des salaires ridicules, ni, parfois, les autres musulmans, trop effrayés et honteux, pour faire valoir leurs droits.  Ils ne sont pas silencieux, il se battent, ils manifestent, ils s’expriment, mais c’est bien simple: nous regardons dans l’autre direction, nous ne les écoutons pas.

Les médias européens ( ces journaux tristement populaires comme le Point, le Figaro et the Economist qui se targuant d’avoir des milliers de lecteurs, produisent pourtant des articles mal écrits et d’une pauvreté intellectuelle saisissante) se scandalisent de ces majorités musulmanes qui ne disent rien, de ces minorités qui tuent et qui violent au nom d’un Islam que peu de musulmans reconnaitront, mais ces même médias passent bien peu de temps à se demander pourquoi ce qui arrive arrive, à s’engager dans un réel journalisme d’investigation intelligent. Pourquoi des petits français de Normandie partent-ils se battre en Syrie? Pourquoi ISIS existent-ils? Pourquoi les femmes se voilent-elles plus souvent et pourquoi les français “laïcs” l’acceptent-ils si mal? Pourquoi traitent-on les musulmans français comme des immigrés, des citoyens de seconde zone même après que leurs parents et grand-parents aient été citoyens français depuis des décennies? Pourquoi prend-on les discriminations raciales bien réelles à la légère, en les écartant d’un revers de la main accompagné d’une moue de dédain à la française? Peut-être parce que ces problèmes ne sont que le triste reflet de nos propres échecs.

Les groupes islamistes comme ISIS ne se sont bien évidemment pas formés dans un vide intellectuel et politique et sous la simple impulsion d’une religion essentiellement violente et dénuée de sens. Ces groupes terroristes se sont formés en réponse aux politiques étrangères occidentales – et en particulier celles des Etats-Unis – catastrophiques dans les pays du monde Arabe et en Afrique sub-saharienne. Sais-tu d’ailleurs qui sont les combattants d’ISIS? Que veulent-ils? Les premiers éléments d’ISIS étaient en fait les restes de l’armée nationale irakienne de Saddam Hussein, qui, rejetés par les Américains de la nouvelle armée créée de tout pièce après l’invasion de  2003, ont décidé de s’organiser autrement. Al-Qaida est né des suites de manipulations politico-mafieuses et violentes des Etats-Unis et de la Russie lors de la guerre froide et s’est nourri de leur stupidité, leur cupidité, et bien sûr, l’entraînement militaire et les stocks d’armes américains qui leur ont été gracieusement offerts dans les années 1970. Après mon passage aux Archives Africaines à Bruxelles qui regroupent les feuillets jaunis et oubliés d’une administration Belge raciste et dominatrice, il est assez certain que les peuples d’Afrique sont de loin les plus braves. Usant de stratégies paternalistes, perverses et moralement constipées, les occidentaux ont rasé absolument tout ce qui constituait pour des peuples entiers une organisation sociale et politique complexe, des siècles de culture et d’histoire. Ecrasés par le joug pompeux de la “mission civilisatrice”, les africains de toutes parts ont été vendus, exploités, déchirés, leurs villages pillés, détruits et les populations organisées et parquées dans des camps de travailleurs ou le confort de l’eau courante et l’électricité les réduisaient au silence et à la discipline pour le bien de corporations étrangères vénales. Je ne mentionne même pas les pages entières dédiées aux nègres, ces “indigènes” traités comme de petits enfants ignares et dont les valeurs dégénérées devaient à tout prix être éradiquées.

Archives Africaines - Politiques Indigènes, 1947

Archives Africaines – Politiques Indigènes, 1947

Et que dire de nos politiques contemporaines … Nous avons passé plus de temps à pleurer Charlie Hebdo que de se recueillir pour les 2000 victimes de Boko Haram, un massacre perpétué le même jour et par le même type de fanatisme. Nous dépensons plus d’énergie à voter cette petite Marine Le Pen sur fond de crise économique qu’à venir en aide à des milliers de migrants stockés sur des barques instables dont des centaines se noient sous nos yeux, impitoyables. A l’inverse, nous votons des lois qui tout en nous donnant bonne conscience se valent du “laisser mourrir” parce que les secourir reviendrait à les inviter. Ces gens sont si désespérés (de plus en plus d’enfants non accompagnés sont retrouvés dans ces bateaux, morts ou vivants) de fuir leur pays en guerre – en particulier la Syrie, une catastrophe dont nous sommes encore une fois, largement responsables – que leur vie n’a plus aucune valeur; il importe peu que nous décidions de ne plus leur venir en aide, ils continueront de chercher asile dans nos pays si tolérants, si humains, si civilisés. Mais nous, nous votons des lois qui non seulement abandonnent des êtres humains à une mort certaine, mais aussi nos propres valeurs d’Egalité, Liberté, Fraternité. S’il s’était agit de 800 américains morts échoués sur les plages de Lampedusa, la terre entière aurait pleuré, retenu son souffle. Il importe peu que les américains soient souvent sous-éduqués, obèses et vivent dans un pays ou la santé est un luxe que peu peuvent s’offrir et l’université si chère que les jeunes diplômés commencent leur vie active avec des dettes colossales. Peu importe qu’en somme, les Etats-Unis soient plus proches d’un pays du Tiers-Monde que de la Scandinavie, ces gens sont des blancs et ils méritent notre soutien, notre argent, notre temps. Mais se ce sont des africains, des arabes, des musulmans qui viennent mourrir sur nos côtes et ces gens là ne sont pas dignes de notre compassion.

Considérant la désinvolture de nos actions et la gravité de leurs conséquences sur le reste du monde il est d’ailleurs extrêmement surprenant que nous n’ayons pas été confrontés à ce genre de “fanatisme” beaucoup plus tôt et de façon beaucoup plus systématique; nous pouvons presque nous considerer chanceux de ne pas être la cible de beaucoup plus d’attentats perpétrés par beaucoup, beaucoup plus d’adeptes du côté obscure des idéologies humaines. Je suis éberluée par le pacifisme de ces populations que nous avons manipulées et considérées comme des sous-humains, à notre égard. Oui, c’est bien le mot pacifisme que je viens d’employer, car il est bien là le réel pacifisme.

Les musulmans ne sont pas une majorité pacifique silencieuse, ils représentent une partie de la population mondiale  – plutôt nauséabonde (la population mondiale, pas les musulmans) en général il faut bien l’admettre – composée d’une multitudes de différents courants de foi musulmane qui ne s’entendent pas, s’entre-déchirent, se font la guerre, et parfois, coexistent pacifiquement sans problème pendant des siècles.Ce sont des gens, qui à l’heure du XXIème siècle, sont en guerre. Contre des régimes dictatoriaux dit “laics” que nous – les occidentaux riches et blancs – avons mis en place et soutenu pendant des décennies sans se poser les questions qui fâchent. Il est clair donc, que personne ne tue au nom de l’Islam, mais plus profondément pour des raisons politiques bien spécifiques associées à la liberté, l’injustice, l’exploitation, dont nous, les Européens sommes le plus souvent responsables. L’Islam n’a rien à voir avec tout ceci, l’injustice et les crises identitaires, si. Mais nous continuons néanmoins de demander, que dis-je, d’exiger (!) que les musulmans s’indignent, qu’ils s’excusent collectivement pour ces autres, ces étrangers, ces terroristes dont ils ne connaissent rien, comme s’ils étaient, eux, les responsables. Je ne me souviens pas avoir entendu de telles demandes concernant par exemple, les massacres perpétrés à Gaza par Israel l’année dernière? A-t-on demandé à tous les juifs de France, à tous les juifs du monde, de s’excuser pour les crimes odieux de Benjamin Netanyahu qui a assassiné 2000 Palestiniens en quelques semaines, dont la plupart étaient des enfants et des civils non-armés? Demande-t-on aux catholiques de s’excuser pour le massacre de près de 50 millions d’habitants d’Amérique latine orchestrés par les espagnols il y a cinq siècles? Demande-t-on aux catholiques de s’excuser pour le rôle que l’Eglise a joué durant l’holocauste de la seconde guerre mondiale et le génocide rwandais, ou à tous les français de s’excuser d’avoir collaboré avec le régime nazi? Demande-t-on aux catholiques des excuses pour avoir pillé, assassiné, et violé impunément lors de nos longues et sanguinaires Croisades organisées aux nom de Dieu mais dans le but réellement perfide qu’est la cupidité? Est-il utile ici de rappeler que les traitement réservé aux “infidèles” par les musulmans lors des Croisades était d’ailleurs bien plus humain et tolérant que celui réservé aux “infidèles” par les Croisés catholiques?  Demande-t-on aux anglais de s’excuser collectivement pour l’extermination totale des tribus “indiennes” dans ce que deviendra les Etats-Unis ou pour l’organisation d’une vaste machine esclavagiste ayant décimé le continent africain et perpétré les pires crimes contre l’humanité à l’encontre des populations noires américaines? Non, je n’ai rien entendu de tel. Pas le moindre murmure.

Alors ce discours sur la majorité pacifique silencieuse, je l’ai déjà entendu, et je l’ai en horreur. Usant d’une rhétorique soit disant bienfaisante et résolument bien-pensante il incite en réalité à l’intolérance, et surtout, bien plus dangereux encore, à la stupidité collective. Mais puisque c’est bien de silence nauséabond dont nous parlons ici, moi je décide de ne plus me taire. Puisque nous sommes si supérieurs, nous, les blancs, prenons nos responsabilités, ne les fuyons plus.

Et si mes arguments ne peuvent te convaincre toi et tes copines de faire un pas en dehors de l’obscurantisme, j’espère au moins qu’ils convaincront de ne plus m’envoyer ce genre de messages parce que je suis fatiguée, non, attristée de devoir les lire.

Bien à toi,

Stéphanie

PS: Tu diras à ta copine Cathy que j’espère que ses élucubrations racistes et étriquées lui permettent d’occuper ses journées qui me semble-t-il, sont assez ennuyeuses.

“Elephant’s Dream” | A Tale of Resilience

Photo Credit: Kritsof Bilsen

Photo Credit: Kristof Bilsen

Kistof Bilsen’s Elephant’s Dream has only been watched by a few privileged souls since its World Premiere at various European festivals in the Fall 2014. Beyond its slightly surreal and poetic composition and filming, the documentary’s real strength and appeal lie in its search for authenticity and normality in a country where fantasies about the “Heart of Darkness” have been feeding on a carefully managed and internationally constructed discourse of catastrophic state failure (or fragility) and disastrous cycles of structural, direct and lethal violence. Most documentaries – and there are a LOT – dealing with one or the other aspect of Congo’s multifaceted crisis, habitually investigate only this: a deeply disturbing crisis that invariably resulted in immense desolation, shock and  humanitarian disaster. Mining exploitation, rape as a weapon of war, female combatants, the Rwandan genocide spillover, nature conservation as well as colonial and post-colonial history of violence stand among the extremely varied topics covered in many informative, heart-sinking and fascinating documentaries and films. Elephant’s Dream is no exception; it deals with structural violence, despair and loneliness. But complementing a wealth of critical knowledge on the Congo, it also exposes what often remains hidden in the shadows of an all-too familiar ‘state failure’ discourse: the everyday state and human dignity.

A lot indeed has been said and written about the Congo’s destroyed public infrastructures and social fabric by humanitarian workers, journalists and academics – and rightly so – yet very few of them (including myself) have been able to strike the right tone, use the right words in depicting and explaining what it’s like to get to know the Congo and its people. I often find myself going to great lengths to use imageries and words in vain attempts to adequately explain the infamous traffic jams in Kinshasa, Lubumbashi’s abandoned and somehow eerie mining labour camps and Goma’s back-killing roads to friends, to strangers, to students.

Kristof Bilsen has successfully managed to do just that. The almost romantic depiction of the daily lives of Henriette the Post Office’s counter clerk, Simon the Train Station’s ‘chef de gare’ and Lieutenant the Fire Fighters Unit’s commandant take the viewer to a strange and surreal tale of three state agents going to work every morning despite the lack of proper equipment and the ever-lasting and hopeful wait on wages. Watching the Lieutenant calmly talk from his chair I could feel and smell the Congo’s humid and burning air, the kind that makes you suffocate at night and relentlessly pursue shade in daylight. Henriette’s near apathy sitting at her booth at the Central Post Office resonates like an all-too familiar experience, reminiscent of my own work and the Congolese’ quotidian struggles. The menacing dark grey skies over the train station loom as a reminder of the strong winds that always announce an imminent thunderstorm.  I rejoiced at the view of Kinshasa’s skyline from above, and the familiar buildings and houses in which I lived, grew up and learnt invaluable knowledge from friends and family. The streets and atmosphere I longed so much for as a kid when it became clear we could never return (which I purposely and thankfully did after years of persuasion and work). The film took me back down memory lane and gave me hope for greater eye-opening, ingenuity-friendly research in the near future.

To the outside observers, the atmosphere emanating from the documentary perhaps takes on a sweet and sour aftertaste as they remark the oddly half-confrontational, half-amicable encounters among state agents and their clients, the use of antique, pre-independence equipment in the train station’s main office or the fact that the Fire Fighters Unit continues to operate (sort of) in the burnt down ruins of a once functional building in the heart of Kinshasa’ central business district. This can only resonate with a post-apocalyptic image of the Congo’s dilapidated state filled with unmotivated corrupt officials. To be sure, the Congolese, of all the people I have come to know personally, are by far one of the most obvious victims of immense human suffering, exploitation and abuse both by their own leadership and external powers and Elephant’s Dream perfectly captures the essence of such history of violence.

But in the Congo, those who have been there with an open heart and mind know that not everything is about drama and darkness. The Congolese people’s daily routines are evidently cadenced by struggles with state bureaucrats and security forces but it is also marked by creativity, negotiations, jokes, mutual understanding and consensus. That is what Elephant’s Dream was to me: a fair ode to normality within chaos, order within anarchy, hope within despair. Of course, everyone knows one people, one country cannot possibly be summarized through a single discourse focusing on poverty and misery. There must be some degree of normalcy and joy, even in the Heart of Darkness. Everyone assumes this to be true. So why is it that many accounts on the Congo still adopt either a decidedly gloomy narrative, or choose to discuss complex social issues through dualistic ideas opposing war to peace, right to wrong, fair to unfair, and, with regard to the state, formal to informal, lawful to unlawful, success to failure? In a mere 75 minute-long story of three civil servants in seemingly disaffected public offices, Kristof Bilsen reintroduced the missing ‘and’ in prevalent discourse: formal and informal, lawful and unlawful, misery and hope, order and disorder … a thorny task many analysts have taken years to get a grasp of. The old adage ‘a picture is often worth a thousand words’ never sounded truer.

Why I am proud my Congolese friends have called me ‘Congolaise’ too.

I remember a professor at the University of Lubumbashi who, after a long conversation on the Congolese ‘state’, shared his thought on Burkina Faso and the end of Blaise Compaoré’s regime. It was November 2014 and the political atmosphere in the African Great Lakes Region had been palpably tense for a few weeks, as if the good old ‘winds of change’ were returning from a long and regrettable break. The events in Burkina Faso, combined with the various presidential elections scheduled between 2015 to 2017 across the region, gave the trip a sense of occurring during the “quiet before the storm”. As Burkinabe former President Compaoré fled his country to Côte d’Ivoire and Morocco, I thought, with a hidden but delightful interior smile, ‘could this happen to Kabila’? The Political Science professor looked at me, burst into a loud laugh and after a short pause said: “I am not exactly sure why Kabila would have to go…. It took him so many years to start building everything he’s done, if he leaves now, who will continue his work? Here in the Congo you know very well political leaders when they get a grip on power, [they] just destroy everything their predecessors have done so they can start anew and leave their own mark on the political landscape”.

I paused too, thinking he might have a point but, then, I replied in asking if it would always be possible in the Congo to bypass, ignore or brutally shut down the people’s wishes? Well, I suppose the past two days have brought me an answer, and thankfully for this world’s sad state of affairs, the answer is a loud no.

It is also, sadly, a bloody and messy no. Despite EUPOL having spent millions in reforming the national police through a complex Security Sector Reform programme in the Congo, it seems that money did not produce the expected respect for ‘due process’ and the ‘rule of law,’ given the PNC’s use of live ammunition against demonstrators (who were not all peaceful, but most certainly unarmed), killing about 40 in the skirmishes in Goma and Kinshasa. The Mayor of Goma himself, whom I met and seemed deceptively modern and open-minded, called the demonstrators ‘criminals’ and let his police clash with rioting students. The government swiftly ordered a communication ‘black out’ and ordered all companies to block Internet access and SMS signal, most likely in an attempt to prevent the documentation of police violence and impede demonstrations whose organizers have used social  networks to gather support under the #Telema (‘raise up’ in Lingala) rallying cry.

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Through a mix of personal memories and information from the media, I recall the widespread looting of 1991 and 1993 when the cities of Kinshasa, Lubumbashi and Kisangani among others, suddenly turned into deserted, desolated, ghostly places where revolt gave way to fear and ultimately left Mobutu in power. I think about the so hopeful Congolese people who gathered and waited patiently for the 1991 Conference Nationale Souveraine to deliver on its promises of a multi-party system and democracy, only to see, again, a triumphant Mobutu, using the opportunity to his own private advantage. I remembered the fear of the Spring of 1997 as the AFDL walked towards Kinshasa in a military move no one could believe was really happening. I remember the assassinations, the swirling inflation, the fear, and the end of an era as all the 30 year-old green symbols of Zaïre and its ‘Leopard’ vanished in the blink of an eye. I remember a Tutsi friend of my parents arriving at our home in Kinshasa, traumatized from the Rwandan genocide, and I still feel the creepy echo of war along my spine. I remember the numerous failed attempts at bringing peace and quiet in the Kivus, Ituri, and Katanga. We went from one monarch to another, from one bloodshed to another, from scandal to scandal, from deaths to more deaths. As Jason Stearns pointed out, this time it’s different: the students have taken the lead, Kabila’s PPRD is internally weakened and the Senate stepped up in amending the controversial article 8.

Oh! How many times have I heard how the Congolese don’t rise up and shine because they are too scared, have I endlessly witnessed cynical people who claim democracy isn’t for Africans, and criticized the Congo’s apathetic people and their love for nothing more than beer and lutuku. Apparently, despite bullets and brutality, they also would love to see change happen. No one can predict if this new upsurge of pro-change movement will last long enough for the country to get a chance to witness the beginning of genuine democratic turnaround and to recover from a century and a half of exploitation and war, but this past week will be remembered as those days the state listened to the people and today I am particularly proud. I am proud to be a Congolaise too.